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On ne tire pas sur le Premier ministre !

A propos de l’interdit et de ses formulations

C’est Emmanuel Carrère qui dans son dernier roman, Yoga, nous livre cette délicieuse anecdote : dans un pays des Balkans en proie à de fréquents attentats politiques, une loi est adoptée : « Tirer sur le ministre des Finances, quinze ans de prison. Tirer sur le ministre de l’Intérieur, vingt ans. Tirer sur le grand chambellan, dix ans. Il est interdit de tirer sur le Premier ministre. »

C’est une jolie parabole qui met en scène deux formulations de l’interdit : l’interdit qui se monnaye, et l’interdit qui ne se discute pas. Dans la première formulation, on a encore voix au chapitre. Quiconque peut décider de ses actes dès lors qu’il est prêt à en payer le prix fixé par la société. Alors que la seconde formulation décrète quelque chose de plus radical : c’est inconcevable, c’est une impossibilité.

Décréter une impossibilité ? Ridicule ! Le jeune enfant qui, pour se construire a besoin de tester et contester les limites, nous le fait vite savoir : bien sûr que si, s’il le veut, il peut tirer sur le Premier ministre ! Il n’y a pas d’interdit qui tienne, ou qui résiste à sa volonté. C’est alors à nous de lui enseigner que non, tout n’est pas possible et que ce n’est pas grave. Il y a une limite à la toute-puissance de la volonté. Deux limites même. La limite physique qui nous est amenée par les lois de la nature. Et la limite symbolique, qui nous est amenée par les lois de la culture. Dans les deux cas, il est difficile d’énoncer ces limites de façon formelle et définitive, et chaque énoncé sera tôt ou tard contredit : vous le voyez bien que c’était possible ! Peut-être. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est de pouvoir assumer, sans s’en sentir meurtri, que la volonté de chacun puisse être contrariée à la fois par la réalité de la limite physique et par la nécessité de la limite symbolique.

Pour un parent, décréter une impossibilité c’est faire éprouver cette limite symbolique. En prendre conscience permet de reprendre confiance et de miser sur une logique performative : ça devient impossible dès lors que je dis que c’est interdit ! La légitimité de l’énoncé permet son efficacité éducative. Il n’y a là ni mascarade ni abus de pouvoir. A condition bien sûr de ne pas détourner la Loi au profit de celui qui l’énonce et que ce ne soit pas un prétexte pour servir sa propre jouissance. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de faire la Loi, mais de la transmettre !

Article initialement paru sur le site Psychologies.com

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Quand Agnès Varda rencontrait Jean Laplanche

La scène est savoureuse : dans son documentaire Les glaneurs et la glaneuse (2000), Agnès Varda, formidable poète, part à la rencontre de ceux qui, dans les champs, sur les marchés, dans les poubelles ramassent ce qui reste, ce qui a été négligé, laissé de côté lors des récoltes officielles. Déambulant dans un vignoble, elle tombe sur le propriétaire, châtelain bonhomme qui récite du Bellay et explique son accueil bienveillant des glaneurs. Ce n’est qu’après-coup qu’elle reconnait en son interlocuteur Jean Laplanche, éminent et très docte psychanalyste. Alors, lorsque le succès populaire de son documentaire l’incite à en tourner un deuxième opus, Deux ans après (2002), elle part le retrouver dans son château de Bourgogne. Tous deux se disent bien sots de ne pas avoir saisi toute la richesse de cette rencontre et notamment de ne pas avoir exploité ce lien, évident, entre glanage et psychanalyse : bien sûr que dans les deux cas, on fait attention à ce à quoi personne ne fait attention, et bien sûr que ce qui est glané, ce qui tombe du discours par inadvertance, a pour l’analyse bien plus de valeur que ce qui est récolté dans un commerce bien rôdé.

Dans une douce mise en abîme, et comme s’il avait fallu que la mise en scène vienne supporter le propos, la glaneuse Agnès Varda et le psychanalyste Jean Laplanche s’y sont pris à deux fois pour se rencontrer : il y a eu le temps de la récolte, commerce somme toute bien agréable avec cette charmante première rencontre ; mais il reste quelque chose à l’issue de cette rencontre, quelque chose de non exploité et qui s’avère pourtant si riche. Alors, ce quelque chose négligé sur le chemin, ils sont revenus le glaner.

Ainsi va la vie. Et ainsi vont la psychanalyse et la créativité artistique qui partagent le goût de la rencontre fortuite, de l’esprit d’escalier, des recommencements, des fulgurances et des effets de sens. Dans l’art comme dans l’analyse, la détermination de la quête s’allie à la sérendipité. Et le plaisir de la découverte redouble bien souvent à la lueur de la redécouverte : mais c’est bien sûr ! c’était déjà là, en moi, pas très loin ou sous une autre forme ! Qu’ai-je été sot de ne pas l’avoir vu plus tôt !

Article initialement paru sur le site Psychologies.com

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Intervention vidéo : Parentalité et petite enfance à l’épreuve de la crise

Confinement, déconfinement, distanciation sociale et gestes barrières, inquiétudes et incertitudes… La crise que nous traversons met à rude épreuve nos habitudes et nos repères. Le point de vue d’un psychologue sur les enjeux pour la petite enfance. Discussion avec les parents et les professionnelles.

Merci beaucoup à l’Acepprif (Association des Collectifs Enfants Parents Professionnels – Ile de France) de m’avoir proposé d’intervenir sur ce thème.

Retrouvez cette intervention et la discussion en cliquant sur ce lien (commenez à la minute 10 pour entrer dans le vif du sujet !) :

http://www.acepprif.org/inter-creches-en-chaussettes-parentalite-et-petite-enfance-a-lepreuve-de-la-crise-8-mai-2020/

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Soutien et psychothérapie : les bonnes surprises de la téléconsultation

Du fait du confinement, consulter un psy se fait maintenant à distance, par téléconsultation vocale ou vidéo. Pour beaucoup de patients et de professionnels, c’est un changement de pratique qui aurait été inenvisageable il y a quelques semaines encore. Mais, loin d’entraver le travail de soutien ou de psychothérapie, ce dispositif peut légitimement revendiquer toute sa pertinence clinique.

Le contexte s’impose à tous et nous avons, nous, psys et patients, à nous adapter aux mesures de confinement. Les consultations en présentiel sont suspendues. Seule solution : les consultations psy à distance, par téléphone ou par vidéoconférence.

Mais s’agit-il seulement d’un pis-aller, d’une solution par défaut, qui serait une version dégradée de la séance en présentiel ? Non, certainement pas !

Déjà, parce que ça permet à un plus grand nombre d’accéder à un suivi psy : les personnes qui sont d’ordinaire dans l’incapacité de se déplacer pour des raisons géographiques ou des contraintes horaires, les personnes en situation de handicap et à mobilité réduite, mais aussi celles et ceux qui n’osent tout simplement pas sauter le pas, certains ados ou jeunes adultes ayant restreint leurs activités sociales au seul monde numérique, et enfin toutes les personnes pour qui le lien social est sérieusement mis à mal par d’intenses angoisses et phobies… Tous ceux-là trouveront dans la téléconsultation psy une opportunité de traiter enfin de leur souffrance, de leurs questionnements et de leurs difficultés.

Mais cette capacité de la téléconsultation psy à répondre aux besoins n’est pas réservée aux personnes mentionnées ci-dessus, elle concerne tout le monde. Car il s’avère que la consultation à distance n’entrave en rien ni le lien, ni la confiance, ni la capacité à dire et à entendre. L’expérience montre qu’on peut n’y voir finalement qu’une modalité contingente, une caractéristique parmi d’autres du dispositif de la séance. Certes, on ne se dit pas forcément les mêmes choses ni de la même manière selon que l’on se parle allongé sur un divan, assis en face à face, par téléphone ou par webcam. Mais dans tous les cas, on peut dire et éprouver, et ce qui est dit et éprouvé dans ces échanges permet le soulagement, l’apaisement des tensions, produit des effets de sens et permet la symbolisation de choses qui sans cela ne cesseraient de se manifester dans le corps et dans le psychisme sous la forme de symptômes indigestes.

Ce qui permet le travail d’élaboration, c’est le cadre. Mais ne nous y trompons pas, le cadre ce n’est pas le moyen technique ni le mobilier : ce qui vient faire cadre, c’est la capacité d’accueil, de recueil pourrait-on dire de toutes ces choses dites et non dites, de toutes ces émotions, de tous ces éprouvés. Ce qui vient faire cadre, c’est l’attention que le psy porte au sujet et à sa souffrance, c’est sa capacité à soutenir la prise de parole et l’expression des émotions, à accompagner le processus de symbolisation par la formulation de liens, d’hypothèses et d’interprétations. Le cadre matériel et technique de la séance importe peu. Ce qui compte, c’est l’attention et la relation.

Plus encore ! En poussant l’analyse de ce qu’amène le dispositif de la téléconsultation, que ce soit par appel vocal ou vidéo, on peut même y voir une très belle pertinence clinique. Essayons d’en parler ici sans tomber dans le jargon. Il y a d’abord le travail sur ces deux objets fondamentaux que sont le regard et la voix. Nous nous constituons tous en tant que sujet dans un certain rapport au regard et la voix, regard et voix qui viennent de l’autre, et qui émanent de soi. Leur absence, leur présence, ou plutôt les modalités de leur absence et de leur présence telles qu’actualisées dans la cure amènent bien souvent de manière inconsciente un matériau de travail très riche et utile à l’élaboration et à la symbolisation. Plus généralement, la téléconsultation vient renforcer le caractère paradoxal de l’espace de la cure : car il y a la fois une réelle proximité et une distance radicale, structurelle, qui s’instaurent dans tout travail psychothérapeutique. Et c’est précisément ce décalage, ce caractère paradoxal, cette complexité, cet entre-deux qui permettent au travail psychique de se mener, aux émotions et aux affects de s’éprouver de façon sécure et constructive, aux choses de se dire tout à coup autrement. C’est précisément cela qui permet les remaniements internes et la construction d’un nouvel équilibre.

Dans une téléconsultation par appel vocal, par exemple, la rencontre se doit de passer par une seule porte d’entrée parmi les cinq sens : l’ouïe. On pourrait y voir une perte d’informations, de repères (le langage corporel n’est-il pas important ?), mais l’attention se fait plus intense, une certaine proximité paradoxalement plus palpable. Soutenue par un échange de bons procédés, les mots, la rencontre peut d’autant plus se déployer, trouver une richesse, une saveur, une densité, qu’elle s’est affranchie de l’apparence et de tout un système de représentations imaginaires qui nous collent d’ordinaire à la peau.

Alors non, la téléconsultation psy n’est pas une consultation au rabais. C’est un autre dispositif qui a par lui-même tout à fait son sens et sa pertinence, que ce soit pour aider chacun à traverser cette dramatique période, ou pour entreprendre un travail psychothérapeutique classique tel qu’il aurait pu être fait en présentiel.

Cul par dessus-tête, la crise et l’ordre des choses

Une crise est un moment de rupture dans l’ordre des choses. Un vieux professeur de l’époque soviétique contemple sa boule à neige pour se rassurer, moi je me mets à rêver.

Moscou, Octobre 1994. Le vieil homme, professeur émérite, spécialiste de la physique nucléaire reconnu dans le monde entier, n’en revient pas. Sur les marches abimées de cet institut prestigieux, qui a offert honneur et gloire à tous ceux qui y ont travaillé, il a le regard perdu. Déjà, la veille, un mot glissé à son collègue, un regard échangé témoignaient de son trouble alors qu’il accueillait une délégation française : le repas proposé par la cantine de l’institut lui faisait honte. La nappe tâchée, les assiettes trop grandes pour des portions dérisoires, cette kacha immangeable… Ses hôtes venaient rencontrer une légende de la recherche soviétique. Ils découvraient un roi nu. La gloire n’était plus qu’un souvenir, cette visite se faisait à contre-temps. Derrière le fantasme, le réel se dévoilait. Le réel de la situation économique d’un empire qui s’effondre sous le poids de ses faiblesses et de ses absurdités. Le monde de la recherche avait été à la pointe de l’édifice, glorieux porte-étendard de cette course effrénée, guerre froide de l’après-guerre. Il n’était plus qu’un fragment parmi d’autres dans un champ de ruines. La belle bâtisse classique, colonnes blanches sur fond ocre, menaçait de s’effondrer. La chute n’était pas seulement une vue de l’esprit. Alors quand Arcady, le plus brillant de ses élèves, celui qui, plus que tout autre, pouvait prétendre lui succéder un jour à la tête l’institut, quand Arcady lui a annoncé qu’il quittait le métier pour aller vendre des datchas aux nouveaux riches, histoire de faire vivre sa famille, et peut-être même de s’acheter lui aussi une datcha, alors ça a été le coup de grâce. Affligé par ce renversement de valeurs, le regard perdu, encore sonné, adossé à cette colonne branlante, le professeur me dit : « vous avez une expression en français, c’est… cul par-dessus tête, c’est cela ? »

Oui, c’est cela, Professeur. Cul par-dessus tête, comme sens dessus dessous. Quand rien ne va plus et que tout est à l’envers, on peut aussi se dire que tout va à vaux l’eau, qu’on prend le bouillon, qu’on est dans la lessiveuse. Je ne sais pas si vous êtes encore en vie, Professeur, mais je peux vous le dire, le monde a bien changé depuis notre dernière rencontre. Il a tellement changé qu’on peut maintenant en évoquer la fin sans être pris pour un fou. Si ! ça fait partie du langage courant, des discours politiques. La fin du monde ! incroyable non ? Mais vous savez quoi ? le plus incroyable, c’est que depuis qu’on a commencé à en parler, de la fin du monde, rien n’a changé. Strictement rien. Car le risque encouru par la planète vient d’une logique de développement économique, celle-là même qui a poussé votre Arcady à vendre des datchas, mais cette logique est si puissante que rien ne peut l’arrêter.

Croyait-on. Jusqu’à ce qu’un virus vienne nous montrer le contraire ! Un virus, Professeur ! Un virus, aux conséquences certes dramatiques, mais somme toute assez modestes par rapport à la perspective d’une fin du monde. Eh bien, en quelques semaines, il a réussi ce qui, à nous, humains passifs et résignés, paraissait impossible : arrêter une activité folle, suspendre cette fameuse logique économique.

Vous ne comprenez pas, Professeur ? Moi non plus. On est tous un peu cul par-dessus tête en ce moment. On l’est depuis longtemps à vrai dire, mais là, c’est difficile de se repérer, parcequ’il y a des renversements de valeurs et des retournements de situations à tous les coins de rue. Il y a quelques jours encore, les hôpitaux étaient démembrés parce qu’ils coûtaient trop chers. Aujourd’hui, plus rien d’autre ne compte que de les doter. Il y a quelques jours encore, caissières et travailleurs sociaux faisaient tout juste partie du décor, ils sont aujourd’hui les troupes d’élite qui sauvent la nation. Il y a quelques jours encore, la bourse, la croissance, l’activité économique formaient une Trinité qu’on ne critiquait pas. Elles sont aujourd’hui priées de se taire, bâillonnées dans la cave, à côté des sacs de patates et des rouleaux de PQ.

Posée sur votre bureau, vous aviez une boule à neige, Professeur, avec son arc de triomphe à l’intérieur. Cela vous apaisait de voir que la neige retombait toujours à sa place, une fois la secousse passée. Notre monde actuel est dans cette boule, monde sous cloche aux allures de Truman show, un brin illusoire. Un virus est venu, qui nous a bien secoués. Il a déchiré la toile qui faisait office de décor infranchissable. Certes, notre monde, sur ce coup-là n’est pas en danger. Mais il le sera si on laisse la neige retomber, si on laisse une certaine économie opérer un retour à l’ordre des choses. Car cet ordre des choses est un tyran aveugle dont il faut se méfier. A l’heure où la moitié de l’humanité s’est arrêtée, dans une étrange communion, il nous est possible de rêver. Et d’imaginer que, la tête revenue sur les épaules, nous pourrons construire autrement un monde nouveau. Santé, Professeur !

Juste un instant

Nouvelle édition de Juste un instant, de Sébastien Martin. Une pièce de théâtre qui se lit comme un roman !

« Arthur voulait s’extraire un instant, juste un instant, du tumulte du monde : s’extraire des mots, s’extraire des autres, et même s’extraire du temps, de l’écoulement, du récit ! Pas facile d’y parvenir tant le désir de l’autre est insistant… Surtout lorsque l’on est poursuivi par de drôles de loustics : Baptiste, animé de sa pesante sollicitude, et Roman, emporté par une rage inquiétante…  »

« Une grue, trois personnages, une rencontre à la limite du drame, de l’absurde et du loufoque. »

« Drôle et terriblement humain. »

pour un extrait, cliquez ici

Disponible en version broché ou ebook :

 

Le compagnon imaginaire

Votre enfant vous regarde droit dans les yeux, vous raconte la scène avec moult détails, et le soutient mordicus : il vient de parler à son ami Paul. Paul est extraordinaire. Tel un super héros il a encore sauvé du feu une vieille dame. D’ailleurs, maintenant il se repose dans ma chambre. Dites, papa, maman vous mettez une assiette pour lui sur la table s’il vous plaît ? Mais vous, vous le savez pertinemment : Paul n’existe pas, et dans la chambre de l’enfant il n’y a évidemment personne. Pourtant, votre enfant vous en parle tous les jours, il est avec lui quand il traverse la rue, ils vont à l’école ensemble, ils jouent dans la cour de récré. L’enfant est convaincu de l’existence de ce compagnon que vous savez, vous, imaginaire. La force de sa croyance est déroutante, voire assez inquiétante.

Il n’y a pourtant pas d’inquiétude à avoir, les praticiens et la littérature scientifique s’accordent au moins sur ce sujet. Le phénomène des compagnons imaginaires est même assez courant. Certaines études mentionnent 20 à 30 % des enfants qui auraient eu à faire à un compagnon imaginaire. Cela arrive souvent entre trois et sept ans mais ça peut durer parfois beaucoup plus tard, et trouver des prolongements dans la vie adolescente. Et puis, un jour, il disparait subitement, l’enfant n’en parle plus et semble même parfois l’avoir complètement oublié.

Son rôle dans le développement de l’enfant

Pourtant ce compagnon imaginaire a joué un rôle important dans le développement de l’enfant. Et même si lui ne l’a jamais considéré comme un jeu, il en a porté les mêmes vertus. Car lorsqu’il joue et imagine, l’enfant trouve dans les jouets, les personnages et les poupées, des supports de projection : c’est pour lui un bon moyen de mettre en scène ses joies mais aussi ses tourments, ses frustrations et ses renoncements, pour mieux les intégrer. Comme dans le jeu, l’abolition des frontières entre réalité et imaginaire, permet à l’enfant de mettre ses pulsions à l’épreuve des règles et des interdits. Il peut travailler à sa construction identitaire en faisant la part des choses : être ou ne pas être l’enfant rêvé, idéal ; être ou ne pas être l’enfant méchant, mauvais, que l’on craint ou que l’on aime être parfois…

A ce titre, le compagnon imaginaire est tel un jeu, utile à la maturation psychique et sociale de l’enfant.

Mais c’est tout de même un jeu bien particulier. D’abord, parce que l’enfant ne considère pas qu’il joue. Il a au contraire cette force de conviction, cette certitude, il ne semble pas faire comme si, comme lorsqu’il joue à la dînette. Ensuite, parce qu’il n’a besoin d’aucun support concret, c’est de l’imaginaire pur. Il y a enfin la persistance, la constance de ce compagnon qui accompagne l’enfant pendant des mois ou des années. Et le fait qu’il s’agisse généralement d’un enfant à peu près du même âge, alter ego tantôt magnifié, idéalisé, tantôt porteur de toutes les turpitudes de l’enfant.

Chacun son histoire, bien sûr, et il serait vain d’essayer de mettre un sens unique, valable pour tous quant à ce phénomène. On peut toutefois souvent y voir un intense travail psychique autour de thématiques très existentielles : construction d’une identité, éprouvé de la continuité de l’être, et de la discontinuité soi/autre, questionnements inconscients à propos du manque, de l’absence, de la mort, de non-dits ou de secrets…  Autant de thèmes qui sont de toute façon toujours abordés par l’enfant en construction, mais qui trouvent parfois dans l’histoire ou l’environnement de l’enfant une origine ou une résonnance particulière. Le livre de Philippe Grimbert, Un Secret, porté à l’écran par Claude Miller avec Patrick Bruel, en témoigne.

Alors, comment réagir ?

Insistons là-dessus : le compagnon imaginaire ne signe pas en soi une situation de détresse. Il est une modalité vigoureuse des capacités imaginaires de l’enfant.

Il n’y a donc pas de raison particulière de s’inquiéter. D’autant que l’enfant vit généralement très bien l’existence de ce compagnon. C’est lui qui le maitrise, et il n’en est pas incommodé*.

Aussi, accueillons cet imaginaire avec bienveillance, sans inquiétude ni énervement. Nous pouvons même soutenir la conversation avec l’enfant lorsqu’il nous en parle. Comme lorsqu’il joue, nous pouvons en être amusés, mais si nous nous prêtons au jeu, c’est toujours en faisant passer le message, que, dans le fond, nous n’y croyons pas : Ce n’est pas la peine de faire semblant d’y croire nous-même (ce serait pour le moins… perturbant !), mais ce n’est pas la peine non plus de vouloir absolument le convaincre que ce n’est pas la réalité (ce serait vain !).

Les parents ont ici ce double rôle à tenir : garants de la réalité, et garants du droit à la fantaisie et à l’imagination.

  • Si, par contre, l’enfant en est incommodé, si ce compagnon imaginaire vient le mettre en difficulté (par un vécu de soumission, de rivalité, de dénigrement etc…), ou si l’enfant présente d’autres signes de détresse, alors il y a certainement quelque chose d’autre qu’il s’agit de comprendre et d’élucider pour l’aider. Parlez-en alors à un professionnel pour savoir ce qu’il convient de faire.

 

 

 

 

L’enfant et les attentats : en parler, oui mais comment ?

Depuis les tragiques évènements de vendredi dernier, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut en parler aux enfants. Ça parait maintenant une évidence. Mais parler de quoi, et comment au juste ? Et est-ce encore nécessaire, maintenant qu’ils savent déjà tout ? Alors, pour que chacun trouve sa bonne façon d’en parler, il est important de saisir les enjeux d’une telle communication avec les enfants.

Pour les enfants, l’histoire ne fait que commencer. Nous l’avions vu après les attentats de janvier 2015, beaucoup d’enfants avaient été durablement marqués par l’anxiété et par l’angoisse. Quelles leçons en retenir ?

Avec les attentats, nous pensons tout d’abord à ceux et celles qui y ont été directement exposés, meurtris. Sur le plan psychologique,  on rencontre alors malheureusement mais évidemment les thématiques du trauma ou du deuil.

Mais ces évènements qui nous choquent tous si profondément, se poursuivent maintenant pour le plus grand nombre, et notamment pour les enfants, par une confrontation permanente, au quotidien, avec deux autres formes du réel traumatique, qui, si elles n’ont pas la déflagration dramatique de l’évènement vécu, ne sont pas pour autant sans effet :

  • Les images ou informations choquantes
  • L’angoisse ambiante, et la fébrilité de l’ensemble de la société

Deux caractéristiques fondamentales de l’enfance sont ici à prendre en compte :

  • d’abord l’enfant n‘est pas un adulte miniature, son appareil psychique, ses facultés cognitives, affectives, émotionnelles ont d’autres ressorts que les nôtres, et il ne s’agit donc pas de partager avec lui nos informations et nos tourments comme on le ferait avec des adultes. Non, il s’agit de l’aider à intégrer ces informations et ces ressentis dans le système psychique qui lui est propre et évolue avec l’âge ;

 

  • Ensuite, un enfant a besoin d’un cadre stable, sécurisant, protecteur pour se construire : un cadre suffisamment fiable et pérenne qui peut lui faire éprouver la continuité des choses et de son existence, et qui lui permette d’expérimenter à sa façon le monde sans risquer de s’y perdre. Un cadre qui lui permette de dépasser les frustrations, et, les séparations, sans risquer de s’abimer dans l’angoisse et l’éprouvé de la catastrophe. Un cadre enfin qui lui permette de rassembler ses éprouvés, ses ressentis, de ne pas être dépassé par ses propres affects. Bref un cadre qui apporte pérennité, cohérence et apaisement. Or ce cadre, ce sont les parents, les adultes, la société qui le lui apportent. On ne s’en rend pas compte, mais c’est pourtant bien tout cela que nous arrivons à transmettre à l’enfant lorsque les conditions sont normales.

Que ce cadre soit lui-même chancelant, et c’est là une cause primordiale de l’émergence de l’angoisse chez l’enfant.

Aussi s’agit-il de nous assurer que « en parler aux enfants », ça ne veut pas dire les submerger d’informations ingérables. Ni rajouter encore de la terreur ou de l’effroi. Il ne s’agit pas de partager notre fragilité mais au contraire de témoigner que malgré l’impact, malgré la tristesse, la colère et l’anxiété ou l’angoisse, quelque chose résiste, quelque chose tient et les protège.

Alors, en parler avec les enfants ? Oui, et c’est encore actuel, car il s’agit de :

  1. Protéger les enfants en filtrant en fonction de l’âge, les informations et les images auxquelles ils ont accès
  2. Accompagner les enfants dans leur élaboration d’une compréhension qui leur est propre : compréhension des évènements eux-mêmes mais aussi de nos émotions  et des leurs. Les aider à verbaliser c’est leur permettre de symboliser leurs ressentis, de ne pas être envahis par l’indicible. Mais les inviter à en parler, ce n’est pas les forcer, ni imposer ce sujet en permanence. C’est juste ne pas en faire un sujet tabou, leur montrer que l’on pourra répondre à leurs questions. C’est leur proposer des éléments de décryptage, des mises en perspective, et … leur laisser construire leur propre compréhension des choses avec tout cela. C’est leur permettre de s’exprimer aussi par les dessins et par les jeux (jeux de rôles ou jeux créatifs, s’entend !)
  3. Témoigner aux enfants de notre solidité : oui, toute la société et nous-mêmes parents, tout le monde est en émoi, sous tension, … Pour autant, tu peux toujours compter sur nous, tout ne s’effondre pas parce qu’il y a une vulnérabilité. Touchés, mais pas coulés. Impactés, ébranlés, mais résilients.

Ainsi, même si nous sommes amenés à partager avec l’enfant des moments où l’on est nous-même déstabilisés, l’enfant peut plus aisément nous sentir présent là où il nous attend, dans notre double fonction de protection (pas seulement physique, mais bien aussi émotionnelle affective) et de transmission.

C’est certainement plus facile à dire qu’à faire. Alors soyons humbles, on le sait, il n’y a pas de protocole, chacun se débrouille à sa façon, avec sa façon de faire, de dire, avec ses émotions, pour répondre au mieux aux besoins et aux spécificités de l’enfance.

Il y a aussi des supports  d’échange pas mal faits selon les âges, qui peuvent nous aider. Par exemple, les éditions spéciales de Mon quotidien et du Petit Quotidien : http://www.playbacpresse.fr

 

J’ai hyper peur et ça me fait peur d’avoir peur… : Quelques effets du traumatisme

À l’origine, il y a un choc, un événement violent, un accident, une agression, quelque chose à quoi on est personnellement confronté. Telle une déflagration, c’est l’irruption soudaine de ce réel danger, pour soi ou pour autrui, qui vient faire effraction dans la vie quotidienne, et qui vient parfois initier les mécanismes du trauma.

À ces évènements, chacun réagit à sa manière. Sur le moment d’abord, dans l’agitation ou la stupéfaction. Puis dans l’après-coup (dans les jours, les semaines, voire les mois qui suivent), où l’on peut, parfois, ce n’est pas un passage obligé, développer certains symptômes qui témoignent alors du désordre occasionné :

  • Des réminiscences, diurnes ou nocturnes, où l’on revoit les images, on ressent les odeurs et les éprouvés de l’événement, qui nous reviennent à l’improviste tel des flash-backs impromptus, répétés, mais surtout envahissants. Il y a un emballement imaginaire qui nous ramène en permanence ces images à l’esprit.
  • Une surexcitation, avec des troubles du sommeil, une irritabilité, des colères, des difficultés de concentration, un état de vigilance permanent où l’on ne baisse pas la garde.
  • Une tension et un sentiment d’insécurité tels que l’on évite à tout prix de se retrouver dans une situation analogue. On peut parfois avoir tendance à se renfermer, à ne plus sortir de chez soi sans crainte.
  • L’angoisse est là, et il peut aussi y avoir un fort sentiment d’étrangeté vis-à-vis de ce que l’on ressent. On ne se reconnaît plus tout à fait. Et on se demande si tout cela pourra s’arrêter, si l’on pourra un jour redevenir comme avant.

La chasse à l’inouï

Alors, comprendre les effets du traumatisme permet d’envisager ce retour à la normale.

Car dans cette histoire, cette mauvaise rencontre, on a ressenti soit la possibilité de la mort, soit en tout cas l’éprouvé effrayant d’une extrême vulnérabilité. Bref, on a eu affaire à quelque chose d’incroyable, d’innommable, d’inouï. Quelque chose qui dépasse l’entendement ou l’imagination.

Aussi, pour se protéger du vide et de l’effroi, notre appareil psychique a produit cet emballement imaginaire, obsessionnel, envahissant. Ça devrait calmer l’angoisse ? Ça le fait en partie. Ou pas du tout. Et ça peut l’attiser au contraire, car le caractère répétitif et envahissant de la remémoration, ravive sans cesse l’effroi, et nous confronte à un fonctionnement bien étrange. Ce qui a fait peur initialement était l’évènement extérieur. Voilà que ce qui fait peur maintenant est double : toujours cet évènement extérieur et éventuellement la possibilité qu’il se répète ; et en plus notre propre réaction psychique, qui nous fait ressentir des choses bien étranges.

C’est là que l’angoisse génère encore plus d’angoisse, la peur alimente la peur. Est-ce normal ? suis-je normal ?

Parler, tisser, symboliser…

Sur les lieux d’un drame est parfois proposé un débriefing post-traumatique, consistant à aider la personne à verbaliser ce qu’elle a vécu. Il s’agit de mettre des mots sur les choses, sur le vécu insensé. De pouvoir donner corps à des représentations mentales, afin d’intégrer tout cela dans notre système habituel de pensée.

C’est utile, mais parfois trop précipité pour être décisif. Car il y a le temps de la sidération, le temps de l’imagination, et le temps de la symbolisation. C’est alors qu’un travail psychothérapeutique peut aider à dépasser la répétition de l’effroi.

Car par la parole, on peut venir mettre du sens, sur ce qui s’est passé, ou sur ce que cela a produit comme effet. Et c’est en parlant, de soi, par soi, de ses sensations, de l’évènement mais aussi de bien d’autres choses, que les choses vont commencer à se tisser, mêlant perceptions et sensations du corps, idées et représentations de l’esprit, mêlant craintes et désirs, mêlant passé, présent, et futur… Bref, au fur et à mesure de cet exercice, la vie psychique peut reprendre ses droits, et intégrer l’évènement traumatisant dans une histoire de vie.

Il ne s’agit pas de gommer l’événement, ni de rendre tolérable l’intolérable. Mais cet évènement peut perdre de son actualité, et devenir souvenir. Même si ce souvenir reste parfois sensible ou douloureux, l’enjeu est qu’il ne provoque plus cet embrasement, cet envahissement obsessionnel, qu’on ne soit plus dominé par l’angoisse, ni par ce sentiment de vulnérabilité extrême. Les processus habituels de pensée peuvent alors reprendre leur cours. Ouf, on se retrouve enfin !