En janvier dernier, l’Académie des Sciences a publié un rapport intitulé « L’enfant et les écrans ». Pour ceux qui ont le courage, ils peuvent le trouver ici. Il a été décrié, certains le trouvant trop complaisant vis-à-vis des nouvelles technologies, trop laxiste, trop résigné à l’impuissance face à l’omniprésence des écrans. Vous pouvez avoir un aperçu de quelques critiques ici.
Cela montre en tout cas qu’il n’est pas si simple de trouver la bonne attitude éducative dans ce domaine.
Alors, qu’est-ce que l’on fait ?
D’abord, des constats :
1. Les écrans sont partout dans notre vie quotidienne, ils y jouent un rôle prépondérant, et nous-mêmes en sommes bien souvent accros. A ce titre, le monde virtuel fait partie de la réalité que l’enfant doit apprendre à apprivoiser, à s’approprier. Il ne s’agit pas de bannir les écrans, évidement. D’ailleurs, le voudrait-on, qu’on ne le pourrait pas.
2. C’est toujours très impressionnant de constater à quel point les enfants, dès leur premier âge sont non seulement à l’aise avec les technologies, mais captivés par les écrans. Ils semblent fascinés par la chose, qui les calme, les capte, semble les contenir, mais en fait les absorbe. « C’est si simple de les mettre devant un écran, ils ont tellement insisté, ça leur fait tellement plaisir, et puis, tu vois, ils deviennent tout calmes, plus de colère, et ça pendant tout le temps que l’on veut, on a la paix…. » Il y a juste le moment où l’on arrête l’engin, où, là, évidemment ça se corse un peu, la crise est là pour le coup, importante… !
Mais le calme apparent de l’enfant devant un écran est un leurre : le surplus de l’excitation sensorielle est accumulé sans être métabolisé, du fait de l’absence d’interactivité émotionnelle et affective ; Bref, l’enfant se charge comme une pile électrique, les effets se feront sentir plus tard !
Et, à voir cette puissance d’attraction, cette capacité addictive, on se dit qu’il est évidemment important de ne pas considérer les écrans comme une activité comme les autres, et qu’il faut forcément contrôler l’accès et le temps passé devant les écrans.
3. Une constatation clinique malheureusement assez fréquente : c’est un drame pour l’enfant lorsqu’il n’a pas pu développer une capacité d’imagination suffisante. Or l’imagination est un processus créatif qui se nourrit de l’interactivité avec l’environnement, de la jouissance de l’usage des cinq sens, des capacités de reproduction et de variation des expériences sensibles, de la capacité à s’approprier certaines choses de l’environnement et à en rejeter d’autres, et enfin de la capacité à se projeter, à mettre en scène ses propres ressentis ou impressions en les déplaçant sur l’objet que l’on manipule ou que l’on crée. Bref, l’imagination est un processus créatif et actif.
Or, les écrans mettent à disposition de l’enfant un imaginaire prêt-à-porter, qui a tendance à prendre toute la place et à détourner l’enfant de ses propres capacités créatrices. On en retrouve directement les effets, dans l’inhibition intellectuelle ou affective, et dans la prédominance de l’agir (grande excitation, difficultés de concentration, passage à l’acte, …)
Pour aller plus loin dans la compréhension des phénomènes psychologiques et cognitifs, je vous suggère la lecture de cet ouvrage de Serge Tisseron : Grandir avec les écrans (lire notamment les pages de 29 à 39, qui listent les recommandations, âge par âge)
Pour avoir un aperçu clair des effets, vous pouvez lire l’avis de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire, (à noter que l’on retrouve cet avis sur le site de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (sic !), et ce n’est pas rien de se retrouver déjà à prévenir l’addiction, alors que l’on parle d’enfance, voire de petite enfance !)
Dans ces deux documents, il est question de la fameuse règle « 3-6-9-12 » proposée par Tisseron, que l’on peut résumer brièvement ainsi :
- Pas d’écran avant 3 ans, ou tout au moins les éviter le plus possible
(10 minutes max par jour, accompagné par un adulte, et dans le seul but de jouer activement) - Pas de console de jeu portable avant 6 ans
Et, dès 3 ans, limitez le temps d’écran (télé, certains jeux), et veillez à la qualité des programmes (regarder à la télé seulement des choses de leur âge ; et préférer les jeux numériques que l’on fait ensemble, ou des jeux créatifs tels que dessin, etc…) - Pas d’Internet (surf) avant 9 ans, et Internet accompagné jusqu’à l’entrée en collège
- Internet seul à partir de 12 ans, avec prudence
Cette règle vaut le coup d’être suivie dans son esprit si ce n’est à la lettre : elle a l’intérêt de donner des repères clairs, de montrer qu’à chaque âge ses enjeux et ses possibilités, et d’appeler les parents à être actifs dans le contrôle des accès à l’écran et dans l’accompagnement au bon usage de ces écrans.
En bref, ne nous servons pas des écrans comme babysitter pour avoir la paix, c’est un calcul où tout le monde sera perdant au final. Et n’oublions pas qu’il est essentiel qu’un enfant développe des capacités à imaginer par lui-même, à jouer avec des objets physiques, à inventer, à créer, et aussi… à s’ennuyer (nous y reviendrons dans un prochain post) !