Se réconcilier avec l’autorité, dès la petite enfance

La question de l’autorité se pose un jour ou l’autre à tous les parents. Allons crescendo : mon enfant ne m’écoute pas, ne veut pas obéir, n’en fait qu’à sa tête, il devient ingérable, il se met en danger, on ne le supporte plus … ! Il veut tout, tout de suite, et est prêt à n’importe quelle crise pour l’obtenir…

Alors quoi ? J’abandonne, je me résigne, je ne dis plus rien, j’évite les situations de conflits, je me bouche les oreilles, je lui donne ce qu’il veut tant qu’il est calme, en attendant des jours meilleurs, tout cela s’arrangera avec l’âge ? Ou je pète les plombs, je lui hurle dessus, à force de le punir, il va bien comprendre, ça va bien lui rentrer dans le crâne ?

Bien mauvais calcul dans les deux cas. La solution n’est pas là, ni pour lui ni pour vous, et le malaise s’installera sous une forme ou sous une autre.

Alors ? Soyons clair : il ne s’agit pas de convoquer l’autorité totalitaire et l’autoritarisme…. ! On ne rêve pas d’enfants dociles et muets, soumis par la contrainte, la force et encore moins la violence à la toute-puissance parentale ! Ni dressage, ni conditionnement : il y a de la place pour une autorité qui prenne soin et même favorise la liberté, la personnalité, l’expression, et la créativité de l’enfant.

L’autorité, une histoire de transmission

Rappelons d’abord que l’adulte n’a pas à faire la loi, il a à la transmettre. On n’est plus dans le système patriarcal d’antan où le chef de famille était le maître chez soi et imposait sa volonté. Non, Prenons l’image de l’arbitre de football : il ne fait pas la loi, il ne fait que se référer au règlement accepté par tous. Et même s’il peut être amené à l’interpréter, il y est soumis lui aussi. Enfants ou adultes, nous sommes tous soumis à la même loi, même si l’on occupe des places différentes.

L’autorité des parents se fonde sur leur capacité à transmettre la Loi. OK, mais c’est quoi cette Loi ? La République ? La Religion ? La Morale ? A vous de voir. Le psy ne va pas vous faire votre morale ! Non, peu importe la loi, l’important est qu’il y ait de la loi. Bref, transmettre la Loi, c’est déjà dire qu’on ne peut pas faire n’importe quoi ni tout ce que l’on veut. C’est dire et assumer ce qui fonde la condition humaine et la distingue de l’animalité : on a tous des limites, et ce au nom de la société, du fait que nous sommes des êtres de langage, des êtres sociaux, interagissant ensemble, chacun étant lié à l’autre.

 Une autorité contenante

Il s’agit maintenant de se rendre compte que ces limites, aussi frustrantes soient elles au premier abord pour l’enfant, sont les conditions pour lui de sa sécurité : pas seulement de sa sécurité physique (évitement des mises en danger), mais aussi de sa sécurité sur le plan social (s’il n’agresse pas, il peut être accepté par l’autre, qui a lui-même l’interdiction de l’agresser), et enfin sur le plan affectif et émotionnel.

Sur le plan affectif, car le petit enfant, baigné dans l’attention parentale, éprouve spontanément cette illusion du « je suis tout pour toi, tu es tout pour moi ». Or, si le côté pile de la pièce peut déborder vers une certaine instrumentalisation (tu vas pouvoir faire tout ce que je te demande, puisque je suis tout pour toi), le côté face amène la notion de dépendance, et l’angoisse qui peut en découler : si tu es tout pour moi et que tu n’es pas là, alors le monde s’écroule. Aussi sois là, tout le temps, pour moi, Ô Maman, ne me quitte pas !

On voit là qu’il est fondamental d’aider l’enfant à éprouver le manque, et à s’apercevoir que ce manque n’est pas catastrophique. Aussi, soyons disponibles bien sûr, c’est essentiel, mais assumons aussi de ne pas être à disposition ! Car en assumant cette part d’indisponibilité, nous lui faisons éprouver avec confiance et sérénité l’espace du manque et du manquement parental : non, tu n’auras pas tout, non tout n’est pas possible, non je ne suis pas tout à toi, et tu verras ce n’est pas grave, tout ne va pas s’écrouler, tu ne vas pas t’effondrer, tu peux compter sur tes ressources internes, et on va continuer à vivre et à s’aimer ! J’ai confiance en tes capacités, aie confiance toi aussi !

Sur le plan émotionnel enfin, car le petit enfant qui est en pleine maturation biologique et psychique peut être envahi, débordé, par des sensations, des affects, et des émotions, qui, s’ils ne sont pas symbolisés, n’ont d’autres échappatoires que des manifestations massives, voire violentes, dans le corps ou dans l’agir. Les parents ont là un rôle tout à fait déterminant à jouer, qui consiste à accompagner cette maturation, à donner du sens et à décrypter les sensations, à mettre des mots sur les émotions, à rassurer sur la capacité de dépasser la tristesse, la colère ou l’angoisse. Ce faisant, les parents font acte d’autorité : car ils domptent le chaos qui submerge l’enfant.

À partir de tout cela, on peut comprendre l’autorité comme étant une autorité contenante, rassurante. Loin de l’idée de l’autorité coercitive, répressive et punitive.

Des freins de chaque côté

Mais dans la réalité on s’aperçoit que ça n’est pas toujours simple et qu’il y a beaucoup de freins, de difficultés sur le chemin de la réalisation de cette autorité contenante.

Du côté de l’enfant, cette socialisation l’amène à renoncer à sa jouissance immédiate des choses, et si cela est absolument nécessaire pour qu’il grandisse, il est bien naturel qu’il y oppose une certaine résistance. Par ailleurs, le petit enfant développe une intelligence concrète qui prend support de la réalité, et qui se base sur la répétition pour bien se saisir de ce qui est des règles, des exceptions, des permissions et des interdictions. Ne nous étonnons donc pas que l’enfant n’assimile pas un « non » dès la première fois. Ce n’est pas pour nous embêter !

Mais il est aussi parfois des réticences ou des freins du côté des parents, bien sûr.

Des réticences de principe sur le fait d’avoir à faire à l’autorité. J’espère faire comprendre par cet article qu’il ne s’agit pas d’une autorité punitive mais au contraire d’une autorité nécessaire, contenante et constructive. Tout mon propos ici est de montrer la dimension essentielle de l’autorité, en ce qu’elle permet de placer les parents en position de transmettre quelque chose à leur enfant et qu’elle permet de placer l’enfant en position d’apprentissage, de construction psychologique et d’intégration sociale.

D’autres réticences parentales peuvent provenir de la crainte de faire souffrir l’enfant en le frustrant, et d’être de mauvais parents. Mais assumer sa position d’autorité, c’est justement assumer son ascendance générationnelle, sa position de parent. Et c’est transmettre à l’enfant une confiance en ses propres capacités à surmonter la peine, la colère ou la frustration suite à un refus, un échec ou un manque. C’est justement l’aider à ne pas être en souffrance face au manque ou à la frustration.

Certains parents peuvent aussi avoir, inconsciemment, peur de ne plus être autant aimé par leur enfant. Aucun désamour n’a pourtant jamais été enregistré suite à l’exercice d’une autorité parentale… Et les relations sont tout de même beaucoup plus simples lorsque l’autorité contenante est assumée, alors que le manque d’autorité mène bien souvent à des relations intenables où l’amour est sérieusement entaché par des colères homériques de part et d’autre.

Enfin certains parents peuvent se croire incapables d’autorité, pensant qu’il faut pour cela des dispositions naturelles. Mais il ne s’agit pas d’une histoire de charisme, de pouvoir ou de force, il s’agit ici d’une histoire de légitimité et de fonction. Or un parent est légitime aux yeux de son enfant naturellement, et d’autant plus qu’il prend soin de lui, qu’il l’aime et l’accompagne.

Quelques conseils pour conclure…

Fournir des conseils en la matière est un exercice sans fin, il s’agit là de quelques grandes lignes, qui découlent de ce qui précède :

  1. L’autorité, ce n’est pas juste lors des crises ou des conflits. L’autorité, vous l’avez compris, n’est pas une histoire de rapport de force. Non, vivons l’autorité de manière continue, mais l’autorité contenante, celle qui rassure et qui apaise. Assumons alors le fait que nous ayons une ascendance… générationnelle sur l’enfant, et assumons notre légitimité dans l’exercice de notre fonction parentale.
  2. Soyons disponibles pour nos enfants, mais ne soyons pas à disposition. Il est tout aussi important d’apporter du bien à son enfant que de lui faire éprouver, avec confiance et sérénité, le manque.
  3. Il ne peut y avoir de non sans oui, ni de oui sans non. Nous avons besoin de ces deux rames pour avancer, que sont le oui et le non, l’accueil et le réconfort d’un côté, le fait d’énoncer et d’assumer les limites de l’autre. Dire non tout le temps à son enfant serait juste violent, inassimilable, parce que pas pris dans une relation affective, de prise en compte de ses besoins et de ses désirs. Dire oui à tout sans jamais poser de limites est tout aussi troublant, aussi peu structurant, et totalement insécurisant pour l’enfant.
  4. Il s’agit alors d’essayer de développer une attitude qui soit à la fois ferme et souple. Souple en ce sens qu’il s’agit d’être dans l’interaction avec l’enfant, dans l’écoute, dans l’explication, dans l’accordage affectif. On peut ainsi faire preuve de diplomatie, tenir compte de son point de vue, le prévenir à l’avance lorsque on va l’appeler pour changer d’activité, faire quelques concessions, quelques compromis. Mais il s’agit aussi d’être ferme : c’est-à-dire tenir bon sur la direction, et y croire. Croire en notre bon droit, et croire en la possibilité que l’enfant accepte notre affirmation.
  5. Une autre clé aussi, est d’éviter une répartition rigide des rôles entre père et mère : les deux doivent être également porteurs à la fois du oui et du non.
  6. Enfin, il ne s’agit de pas prendre cela pour lutte personnelle. Nous ne sommes pas dans un bras de fer, mais dans un acte de transmission.

 

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