Quand Agnès Varda rencontrait Jean Laplanche

La scène est savoureuse : dans son documentaire Les glaneurs et la glaneuse (2000), Agnès Varda, formidable poète, part à la rencontre de ceux qui, dans les champs, sur les marchés, dans les poubelles ramassent ce qui reste, ce qui a été négligé, laissé de côté lors des récoltes officielles. Déambulant dans un vignoble, elle tombe sur le propriétaire, châtelain bonhomme qui récite du Bellay et explique son accueil bienveillant des glaneurs. Ce n’est qu’après-coup qu’elle reconnait en son interlocuteur Jean Laplanche, éminent et très docte psychanalyste. Alors, lorsque le succès populaire de son documentaire l’incite à en tourner un deuxième opus, Deux ans après (2002), elle part le retrouver dans son château de Bourgogne. Tous deux se disent bien sots de ne pas avoir saisi toute la richesse de cette rencontre et notamment de ne pas avoir exploité ce lien, évident, entre glanage et psychanalyse : bien sûr que dans les deux cas, on fait attention à ce à quoi personne ne fait attention, et bien sûr que ce qui est glané, ce qui tombe du discours par inadvertance, a pour l’analyse bien plus de valeur que ce qui est récolté dans un commerce bien rôdé.

Dans une douce mise en abîme, et comme s’il avait fallu que la mise en scène vienne supporter le propos, la glaneuse Agnès Varda et le psychanalyste Jean Laplanche s’y sont pris à deux fois pour se rencontrer : il y a eu le temps de la récolte, commerce somme toute bien agréable avec cette charmante première rencontre ; mais il reste quelque chose à l’issue de cette rencontre, quelque chose de non exploité et qui s’avère pourtant si riche. Alors, ce quelque chose négligé sur le chemin, ils sont revenus le glaner.

Ainsi va la vie. Et ainsi vont la psychanalyse et la créativité artistique qui partagent le goût de la rencontre fortuite, de l’esprit d’escalier, des recommencements, des fulgurances et des effets de sens. Dans l’art comme dans l’analyse, la détermination de la quête s’allie à la sérendipité. Et le plaisir de la découverte redouble bien souvent à la lueur de la redécouverte : mais c’est bien sûr ! c’était déjà là, en moi, pas très loin ou sous une autre forme ! Qu’ai-je été sot de ne pas l’avoir vu plus tôt !

Article initialement paru sur le site Psychologies.com

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