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Soutien et psychothérapie : les bonnes surprises de la téléconsultation

Du fait du confinement, consulter un psy se fait maintenant à distance, par téléconsultation vocale ou vidéo. Pour beaucoup de patients et de professionnels, c’est un changement de pratique qui aurait été inenvisageable il y a quelques semaines encore. Mais, loin d’entraver le travail de soutien ou de psychothérapie, ce dispositif peut légitimement revendiquer toute sa pertinence clinique.

Le contexte s’impose à tous et nous avons, nous, psys et patients, à nous adapter aux mesures de confinement. Les consultations en présentiel sont suspendues. Seule solution : les consultations psy à distance, par téléphone ou par vidéoconférence.

Mais s’agit-il seulement d’un pis-aller, d’une solution par défaut, qui serait une version dégradée de la séance en présentiel ? Non, certainement pas !

Déjà, parce que ça permet à un plus grand nombre d’accéder à un suivi psy : les personnes qui sont d’ordinaire dans l’incapacité de se déplacer pour des raisons géographiques ou des contraintes horaires, les personnes en situation de handicap et à mobilité réduite, mais aussi celles et ceux qui n’osent tout simplement pas sauter le pas, certains ados ou jeunes adultes ayant restreint leurs activités sociales au seul monde numérique, et enfin toutes les personnes pour qui le lien social est sérieusement mis à mal par d’intenses angoisses et phobies… Tous ceux-là trouveront dans la téléconsultation psy une opportunité de traiter enfin de leur souffrance, de leurs questionnements et de leurs difficultés.

Mais cette capacité de la téléconsultation psy à répondre aux besoins n’est pas réservée aux personnes mentionnées ci-dessus, elle concerne tout le monde. Car il s’avère que la consultation à distance n’entrave en rien ni le lien, ni la confiance, ni la capacité à dire et à entendre. L’expérience montre qu’on peut n’y voir finalement qu’une modalité contingente, une caractéristique parmi d’autres du dispositif de la séance. Certes, on ne se dit pas forcément les mêmes choses ni de la même manière selon que l’on se parle allongé sur un divan, assis en face à face, par téléphone ou par webcam. Mais dans tous les cas, on peut dire et éprouver, et ce qui est dit et éprouvé dans ces échanges permet le soulagement, l’apaisement des tensions, produit des effets de sens et permet la symbolisation de choses qui sans cela ne cesseraient de se manifester dans le corps et dans le psychisme sous la forme de symptômes indigestes.

Ce qui permet le travail d’élaboration, c’est le cadre. Mais ne nous y trompons pas, le cadre ce n’est pas le moyen technique ni le mobilier : ce qui vient faire cadre, c’est la capacité d’accueil, de recueil pourrait-on dire de toutes ces choses dites et non dites, de toutes ces émotions, de tous ces éprouvés. Ce qui vient faire cadre, c’est l’attention que le psy porte au sujet et à sa souffrance, c’est sa capacité à soutenir la prise de parole et l’expression des émotions, à accompagner le processus de symbolisation par la formulation de liens, d’hypothèses et d’interprétations. Le cadre matériel et technique de la séance importe peu. Ce qui compte, c’est l’attention et la relation.

Plus encore ! En poussant l’analyse de ce qu’amène le dispositif de la téléconsultation, que ce soit par appel vocal ou vidéo, on peut même y voir une très belle pertinence clinique. Essayons d’en parler ici sans tomber dans le jargon. Il y a d’abord le travail sur ces deux objets fondamentaux que sont le regard et la voix. Nous nous constituons tous en tant que sujet dans un certain rapport au regard et la voix, regard et voix qui viennent de l’autre, et qui émanent de soi. Leur absence, leur présence, ou plutôt les modalités de leur absence et de leur présence telles qu’actualisées dans la cure amènent bien souvent de manière inconsciente un matériau de travail très riche et utile à l’élaboration et à la symbolisation. Plus généralement, la téléconsultation vient renforcer le caractère paradoxal de l’espace de la cure : car il y a la fois une réelle proximité et une distance radicale, structurelle, qui s’instaurent dans tout travail psychothérapeutique. Et c’est précisément ce décalage, ce caractère paradoxal, cette complexité, cet entre-deux qui permettent au travail psychique de se mener, aux émotions et aux affects de s’éprouver de façon sécure et constructive, aux choses de se dire tout à coup autrement. C’est précisément cela qui permet les remaniements internes et la construction d’un nouvel équilibre.

Dans une téléconsultation par appel vocal, par exemple, la rencontre se doit de passer par une seule porte d’entrée parmi les cinq sens : l’ouïe. On pourrait y voir une perte d’informations, de repères (le langage corporel n’est-il pas important ?), mais l’attention se fait plus intense, une certaine proximité paradoxalement plus palpable. Soutenue par un échange de bons procédés, les mots, la rencontre peut d’autant plus se déployer, trouver une richesse, une saveur, une densité, qu’elle s’est affranchie de l’apparence et de tout un système de représentations imaginaires qui nous collent d’ordinaire à la peau.

Alors non, la téléconsultation psy n’est pas une consultation au rabais. C’est un autre dispositif qui a par lui-même tout à fait son sens et sa pertinence, que ce soit pour aider chacun à traverser cette dramatique période, ou pour entreprendre un travail psychothérapeutique classique tel qu’il aurait pu être fait en présentiel.

J’ai hyper peur et ça me fait peur d’avoir peur… : Quelques effets du traumatisme

À l’origine, il y a un choc, un événement violent, un accident, une agression, quelque chose à quoi on est personnellement confronté. Telle une déflagration, c’est l’irruption soudaine de ce réel danger, pour soi ou pour autrui, qui vient faire effraction dans la vie quotidienne, et qui vient parfois initier les mécanismes du trauma.

À ces évènements, chacun réagit à sa manière. Sur le moment d’abord, dans l’agitation ou la stupéfaction. Puis dans l’après-coup (dans les jours, les semaines, voire les mois qui suivent), où l’on peut, parfois, ce n’est pas un passage obligé, développer certains symptômes qui témoignent alors du désordre occasionné :

  • Des réminiscences, diurnes ou nocturnes, où l’on revoit les images, on ressent les odeurs et les éprouvés de l’événement, qui nous reviennent à l’improviste tel des flash-backs impromptus, répétés, mais surtout envahissants. Il y a un emballement imaginaire qui nous ramène en permanence ces images à l’esprit.
  • Une surexcitation, avec des troubles du sommeil, une irritabilité, des colères, des difficultés de concentration, un état de vigilance permanent où l’on ne baisse pas la garde.
  • Une tension et un sentiment d’insécurité tels que l’on évite à tout prix de se retrouver dans une situation analogue. On peut parfois avoir tendance à se renfermer, à ne plus sortir de chez soi sans crainte.
  • L’angoisse est là, et il peut aussi y avoir un fort sentiment d’étrangeté vis-à-vis de ce que l’on ressent. On ne se reconnaît plus tout à fait. Et on se demande si tout cela pourra s’arrêter, si l’on pourra un jour redevenir comme avant.

La chasse à l’inouï

Alors, comprendre les effets du traumatisme permet d’envisager ce retour à la normale.

Car dans cette histoire, cette mauvaise rencontre, on a ressenti soit la possibilité de la mort, soit en tout cas l’éprouvé effrayant d’une extrême vulnérabilité. Bref, on a eu affaire à quelque chose d’incroyable, d’innommable, d’inouï. Quelque chose qui dépasse l’entendement ou l’imagination.

Aussi, pour se protéger du vide et de l’effroi, notre appareil psychique a produit cet emballement imaginaire, obsessionnel, envahissant. Ça devrait calmer l’angoisse ? Ça le fait en partie. Ou pas du tout. Et ça peut l’attiser au contraire, car le caractère répétitif et envahissant de la remémoration, ravive sans cesse l’effroi, et nous confronte à un fonctionnement bien étrange. Ce qui a fait peur initialement était l’évènement extérieur. Voilà que ce qui fait peur maintenant est double : toujours cet évènement extérieur et éventuellement la possibilité qu’il se répète ; et en plus notre propre réaction psychique, qui nous fait ressentir des choses bien étranges.

C’est là que l’angoisse génère encore plus d’angoisse, la peur alimente la peur. Est-ce normal ? suis-je normal ?

Parler, tisser, symboliser…

Sur les lieux d’un drame est parfois proposé un débriefing post-traumatique, consistant à aider la personne à verbaliser ce qu’elle a vécu. Il s’agit de mettre des mots sur les choses, sur le vécu insensé. De pouvoir donner corps à des représentations mentales, afin d’intégrer tout cela dans notre système habituel de pensée.

C’est utile, mais parfois trop précipité pour être décisif. Car il y a le temps de la sidération, le temps de l’imagination, et le temps de la symbolisation. C’est alors qu’un travail psychothérapeutique peut aider à dépasser la répétition de l’effroi.

Car par la parole, on peut venir mettre du sens, sur ce qui s’est passé, ou sur ce que cela a produit comme effet. Et c’est en parlant, de soi, par soi, de ses sensations, de l’évènement mais aussi de bien d’autres choses, que les choses vont commencer à se tisser, mêlant perceptions et sensations du corps, idées et représentations de l’esprit, mêlant craintes et désirs, mêlant passé, présent, et futur… Bref, au fur et à mesure de cet exercice, la vie psychique peut reprendre ses droits, et intégrer l’évènement traumatisant dans une histoire de vie.

Il ne s’agit pas de gommer l’événement, ni de rendre tolérable l’intolérable. Mais cet évènement peut perdre de son actualité, et devenir souvenir. Même si ce souvenir reste parfois sensible ou douloureux, l’enjeu est qu’il ne provoque plus cet embrasement, cet envahissement obsessionnel, qu’on ne soit plus dominé par l’angoisse, ni par ce sentiment de vulnérabilité extrême. Les processus habituels de pensée peuvent alors reprendre leur cours. Ouf, on se retrouve enfin !