Le compagnon imaginaire

Votre enfant vous regarde droit dans les yeux, vous raconte la scène avec moult détails, et le soutient mordicus : il vient de parler à son ami Paul. Paul est extraordinaire. Tel un super héros il a encore sauvé du feu une vieille dame. D’ailleurs, maintenant il se repose dans ma chambre. Dites, papa, maman vous mettez une assiette pour lui sur la table s’il vous plaît ? Mais vous, vous le savez pertinemment : Paul n’existe pas, et dans la chambre de l’enfant il n’y a évidemment personne. Pourtant, votre enfant vous en parle tous les jours, il est avec lui quand il traverse la rue, ils vont à l’école ensemble, ils jouent dans la cour de récré. L’enfant est convaincu de l’existence de ce compagnon que vous savez, vous, imaginaire. La force de sa croyance est déroutante, voire assez inquiétante.

Il n’y a pourtant pas d’inquiétude à avoir, les praticiens et la littérature scientifique s’accordent au moins sur ce sujet. Le phénomène des compagnons imaginaires est même assez courant. Certaines études mentionnent 20 à 30 % des enfants qui auraient eu à faire à un compagnon imaginaire. Cela arrive souvent entre trois et sept ans mais ça peut durer parfois beaucoup plus tard, et trouver des prolongements dans la vie adolescente. Et puis, un jour, il disparait subitement, l’enfant n’en parle plus et semble même parfois l’avoir complètement oublié.

Son rôle dans le développement de l’enfant

Pourtant ce compagnon imaginaire a joué un rôle important dans le développement de l’enfant. Et même si lui ne l’a jamais considéré comme un jeu, il en a porté les mêmes vertus. Car lorsqu’il joue et imagine, l’enfant trouve dans les jouets, les personnages et les poupées, des supports de projection : c’est pour lui un bon moyen de mettre en scène ses joies mais aussi ses tourments, ses frustrations et ses renoncements, pour mieux les intégrer. Comme dans le jeu, l’abolition des frontières entre réalité et imaginaire, permet à l’enfant de mettre ses pulsions à l’épreuve des règles et des interdits. Il peut travailler à sa construction identitaire en faisant la part des choses : être ou ne pas être l’enfant rêvé, idéal ; être ou ne pas être l’enfant méchant, mauvais, que l’on craint ou que l’on aime être parfois…

A ce titre, le compagnon imaginaire est tel un jeu, utile à la maturation psychique et sociale de l’enfant.

Mais c’est tout de même un jeu bien particulier. D’abord, parce que l’enfant ne considère pas qu’il joue. Il a au contraire cette force de conviction, cette certitude, il ne semble pas faire comme si, comme lorsqu’il joue à la dînette. Ensuite, parce qu’il n’a besoin d’aucun support concret, c’est de l’imaginaire pur. Il y a enfin la persistance, la constance de ce compagnon qui accompagne l’enfant pendant des mois ou des années. Et le fait qu’il s’agisse généralement d’un enfant à peu près du même âge, alter ego tantôt magnifié, idéalisé, tantôt porteur de toutes les turpitudes de l’enfant.

Chacun son histoire, bien sûr, et il serait vain d’essayer de mettre un sens unique, valable pour tous quant à ce phénomène. On peut toutefois souvent y voir un intense travail psychique autour de thématiques très existentielles : construction d’une identité, éprouvé de la continuité de l’être, et de la discontinuité soi/autre, questionnements inconscients à propos du manque, de l’absence, de la mort, de non-dits ou de secrets…  Autant de thèmes qui sont de toute façon toujours abordés par l’enfant en construction, mais qui trouvent parfois dans l’histoire ou l’environnement de l’enfant une origine ou une résonnance particulière. Le livre de Philippe Grimbert, Un Secret, porté à l’écran par Claude Miller avec Patrick Bruel, en témoigne.

Alors, comment réagir ?

Insistons là-dessus : le compagnon imaginaire ne signe pas en soi une situation de détresse. Il est une modalité vigoureuse des capacités imaginaires de l’enfant.

Il n’y a donc pas de raison particulière de s’inquiéter. D’autant que l’enfant vit généralement très bien l’existence de ce compagnon. C’est lui qui le maitrise, et il n’en est pas incommodé*.

Aussi, accueillons cet imaginaire avec bienveillance, sans inquiétude ni énervement. Nous pouvons même soutenir la conversation avec l’enfant lorsqu’il nous en parle. Comme lorsqu’il joue, nous pouvons en être amusés, mais si nous nous prêtons au jeu, c’est toujours en faisant passer le message, que, dans le fond, nous n’y croyons pas : Ce n’est pas la peine de faire semblant d’y croire nous-même (ce serait pour le moins… perturbant !), mais ce n’est pas la peine non plus de vouloir absolument le convaincre que ce n’est pas la réalité (ce serait vain !).

Les parents ont ici ce double rôle à tenir : garants de la réalité, et garants du droit à la fantaisie et à l’imagination.

  • Si, par contre, l’enfant en est incommodé, si ce compagnon imaginaire vient le mettre en difficulté (par un vécu de soumission, de rivalité, de dénigrement etc…), ou si l’enfant présente d’autres signes de détresse, alors il y a certainement quelque chose d’autre qu’il s’agit de comprendre et d’élucider pour l’aider. Parlez-en alors à un professionnel pour savoir ce qu’il convient de faire.

 

 

 

 

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