À l’origine, il y a un choc, un événement violent, un accident, une agression, quelque chose à quoi on est personnellement confronté. Telle une déflagration, c’est l’irruption soudaine de ce réel danger, pour soi ou pour autrui, qui vient faire effraction dans la vie quotidienne, et qui vient parfois initier les mécanismes du trauma.
À ces évènements, chacun réagit à sa manière. Sur le moment d’abord, dans l’agitation ou la stupéfaction. Puis dans l’après-coup (dans les jours, les semaines, voire les mois qui suivent), où l’on peut, parfois, ce n’est pas un passage obligé, développer certains symptômes qui témoignent alors du désordre occasionné :
- Des réminiscences, diurnes ou nocturnes, où l’on revoit les images, on ressent les odeurs et les éprouvés de l’événement, qui nous reviennent à l’improviste tel des flash-backs impromptus, répétés, mais surtout envahissants. Il y a un emballement imaginaire qui nous ramène en permanence ces images à l’esprit.
- Une surexcitation, avec des troubles du sommeil, une irritabilité, des colères, des difficultés de concentration, un état de vigilance permanent où l’on ne baisse pas la garde.
- Une tension et un sentiment d’insécurité tels que l’on évite à tout prix de se retrouver dans une situation analogue. On peut parfois avoir tendance à se renfermer, à ne plus sortir de chez soi sans crainte.
- L’angoisse est là, et il peut aussi y avoir un fort sentiment d’étrangeté vis-à-vis de ce que l’on ressent. On ne se reconnaît plus tout à fait. Et on se demande si tout cela pourra s’arrêter, si l’on pourra un jour redevenir comme avant.
La chasse à l’inouï
Alors, comprendre les effets du traumatisme permet d’envisager ce retour à la normale.
Car dans cette histoire, cette mauvaise rencontre, on a ressenti soit la possibilité de la mort, soit en tout cas l’éprouvé effrayant d’une extrême vulnérabilité. Bref, on a eu affaire à quelque chose d’incroyable, d’innommable, d’inouï. Quelque chose qui dépasse l’entendement ou l’imagination.
Aussi, pour se protéger du vide et de l’effroi, notre appareil psychique a produit cet emballement imaginaire, obsessionnel, envahissant. Ça devrait calmer l’angoisse ? Ça le fait en partie. Ou pas du tout. Et ça peut l’attiser au contraire, car le caractère répétitif et envahissant de la remémoration, ravive sans cesse l’effroi, et nous confronte à un fonctionnement bien étrange. Ce qui a fait peur initialement était l’évènement extérieur. Voilà que ce qui fait peur maintenant est double : toujours cet évènement extérieur et éventuellement la possibilité qu’il se répète ; et en plus notre propre réaction psychique, qui nous fait ressentir des choses bien étranges.
C’est là que l’angoisse génère encore plus d’angoisse, la peur alimente la peur. Est-ce normal ? suis-je normal ?
Parler, tisser, symboliser…
Sur les lieux d’un drame est parfois proposé un débriefing post-traumatique, consistant à aider la personne à verbaliser ce qu’elle a vécu. Il s’agit de mettre des mots sur les choses, sur le vécu insensé. De pouvoir donner corps à des représentations mentales, afin d’intégrer tout cela dans notre système habituel de pensée.
C’est utile, mais parfois trop précipité pour être décisif. Car il y a le temps de la sidération, le temps de l’imagination, et le temps de la symbolisation. C’est alors qu’un travail psychothérapeutique peut aider à dépasser la répétition de l’effroi.
Car par la parole, on peut venir mettre du sens, sur ce qui s’est passé, ou sur ce que cela a produit comme effet. Et c’est en parlant, de soi, par soi, de ses sensations, de l’évènement mais aussi de bien d’autres choses, que les choses vont commencer à se tisser, mêlant perceptions et sensations du corps, idées et représentations de l’esprit, mêlant craintes et désirs, mêlant passé, présent, et futur… Bref, au fur et à mesure de cet exercice, la vie psychique peut reprendre ses droits, et intégrer l’évènement traumatisant dans une histoire de vie.
Il ne s’agit pas de gommer l’événement, ni de rendre tolérable l’intolérable. Mais cet évènement peut perdre de son actualité, et devenir souvenir. Même si ce souvenir reste parfois sensible ou douloureux, l’enjeu est qu’il ne provoque plus cet embrasement, cet envahissement obsessionnel, qu’on ne soit plus dominé par l’angoisse, ni par ce sentiment de vulnérabilité extrême. Les processus habituels de pensée peuvent alors reprendre leur cours. Ouf, on se retrouve enfin !